Jour : 18 mars 2012

Leçon n°7

« Sans contester le fait que notre corps exprime à sa façon ce que nous n’arrivons pas à formuler – qu’un lumbago signifie que j’en ai plein le dos -, je vois bien ce que le tout-psychosomatique peut avoir d’agaçant pour la nouvelle génération. Il stigmatise la pudibonderie qui me révoltait à cet âge. Dans ma jeunesse, le corps n’existait tout simplement pas comme sujet de conversation ; il n’était pas admis à table. Aujourd’hui, on l’y tolère, à condition qu’il ne parle que de son âme ! En filigrane du tout-psychosomatique flotte cette vieille lune : les maux du corps comme expression des tares du caractère. La vésicule foireuse du colérique, les coronaires explosives de l’intempérant, l’Alzheimer inévitable du misanthrope… Non seulement malades, mais coupables de l’être ! De quoi meurs-tu, bonhomme? Du mal que tu t’es fait, de tes petits arrangements avec le néfaste, des bénéfices momentanés que tu as tirés de pratiques malsaines, de ton caractère, en somme, si peu tenu, si peu respectueux de toi-même ! C’est ton surmoi qui te tue. Tu meurs, coupable d’avoir pollué la planète, mangé n’importe quoi, subi l’époque sans la changer, fermé les yeux sur la question de la santé universelle au point de négliger ta propre santé ! Tout ce système que ta paresse a mollement couvert s’est acharné sur ton corps innocent, et le tue.

Car si le tout-psychosomatique désigne le coupable, c’est pour mieux célébrer l’innocent. notre corps est innocent, messieurs et mesdames, notre corps est l’innocence même, voilà ce que clame le tout-psychosomatique ! Si seulement nous étions gentils, si nous nous conduisions bien, si nous menions une vie saine dans un environnement maitrisé ce n’est pas notre âme seule, c’est notre corps lui-même qui accéderait à l’immortalité ! »

 

Daniel Pennac, « Journal d’un corps »