Ils sont là. Juste, ils se taisent. Et attendent. Ce manque de courage, rendant au muet son envol, comment dire.
S’adresser à un dos, autant s’aplatir au sol et se faire lisse, gober la terre et s’embourber dans des mais elle pensait que et tu lui as dit que, elle ne savait pas que pourquoi ne lui as-tu pas dit que, se remplir la bouche, tasser, tasser la terre pour que plus aucune pensée ne sois émise, empêcher toute tentative de prise de parole comme prise de contact, être en lien, vivant.
« Tu sais si bien tomber seule à mes pieds ». Voilà ce que tu imposes, par ton silence, à ses questions étranglées.
Elle s’est adressée à un dos, pour connaître la direction. Autant, autant de fois déjà, se heurter.
Elle ne sait, que faire que dire, de ses interrogations étouffer sa flamme, de ses mains il disait maintenant, s’astreindre au silence, assécher là, la nécessité.
Comprendre c’est prendre ensemble, assembler ce qu’il faut de matière pour la prise, un espace saillant sur la paroi de notre impuissance, prendre en main la parole de l’autre, comment dire.
Ca veut dire quoi quand tu ne dis rien?
Ca rend toute petite, ca rend, ca remonte, ca renvoie tant, qu’on ne sait plus.
A l’autre bout elle ne sait que faire, à part glisser, c’est faire fondre sa peau, n’être que ligaments nerfs os, les aspérités comme des griffes, saigner, ca coule, ca passe de haut en bas, ca s’effondre mais ca reste lisse, c’est bien une femme qui s’effondre de façon lisse, c’est propre, aucun fracas.
Que dis-tu quand tu te tais?
Réduire sa puissance en un bruit, un petit ploc, ridicule petit ploc, la bouteille décapsulée, déjà plus rien ne résiste, déjà tout s’écoule, et tu as déjà oublié à quel point elle était debout, avant ce ploc, un silence qui réduit à rien tous tes allants vers l’autre, quel récépissé à ta désertion, comment dire.
« Rends moi ma liberté, parle ».
Et tu bois, tu bois, tu engloutis, ca fait tout un tas de bruits qui ne sont pas des mots, et tu attends.
Elle se dit qu’elle pourrait dire ceci puis cela puis après tout ne serait-ce pas moi qui comment ajouter plus regretter d’avoir dit tant les questions pourtant ce n’est pas si c’est considérer l’autre c’est l’encourager à être encore « ca ne t’aide pas à te sentir vivant d’être ainsi en lien? » et elle y croit encore elle y croit car ainsi est-elle faite de cette glu comme la terre qui s’accroche à tes semelles alors qu’elle te veut libre c’est lui qui pense ca pas elle.
Tu la regardes à travers le prisme de tes expériences passées, de cette représentation de la femme faite de toutes tes femmes rencontrées, de toutes ces femmes qui ne sont pas cette femme précisément, alors que, farouche, cette femme précise se dérobe et que tu, convaincu, penses déjà la connaître et pourtant. Tu anticipes ses faits et gestes et l’assèches, l’empêches.
C’est comme lorsque tu dis : « tu es si délicate que je ne peux te prendre ».
Combien de femmes m’ont dit s’être cogné à des dos, combien, combien de dos avez-vous griffés, voyez-vous, les griffes, sur un t-shirt, ca ne fait rien, sur une peau, ca laisse une trace, les hommes nus se donnent ainsi, une fois vêtus, vous l’avez vu, ils se taisent, ni ne se dérobent ni ne se débattent, juste se taisent en attendant que de nous-même nous prenions la décision de disparaître.
Combien de femmes m’ont dit s’être cogné à des dos, combien, combien de dos avez-vous percuté de vos corps déployées, de vos corps plein de ce désir dense qui donne de l’épaisseur à votre voix, de la précision à vos gestes, de l’onctuosité à vos avancées, et qui à cet instant vous donne d’autant plus de poids, percutée en son écho, poids qui vous fait vous écrouler, puis le sol, puis la terre, puis la bouche et le ventre, obstrués par un silence qui n’est qu’une autorité.
Toi, tu es précise, tu es une femme, je te considère précise autant que je me pense précise, je t’écoute, je te parle, nous sommes là, deux femmes précises, et j’aime autant les femmes précises que les hommes en général, simplement savourer nos paroles échangées, en un temps nu comme un temps habillé, se prendre en mot, s’entourer de parole, se saisir du qui tu es par nos voix comme nos lettres, s’introduire délicatement, délicatement, dans le coeur de l’autre se nicher et peut-être prendre soin de notre besoin de consolation.
Je te regarde interroger le silence de l’homme et je te trouve.
Jaillit la nécessité.
Jaillit le hors de question.
Jaillit.
J’ai saisi du bout des doigts la fine coupe de clairette et le froid est entré en contact avec ma peau, j’ai consenti à ce qu’il se répande et le froid s’est répandu, du bout de mes doigts jusqu’à ma main, puis le poignet, le bras, le coeur et les os, et nous avons trinqué.
Messieurs, vous êtes parfois de ces êtres morts.